Les morts dénoncent leur assassin

Des soldats meurent ; des scientifiques délirent ; des femmes trébuchent. Et tous, à cause d’« elle ». Mais les médecins utilisent encore les pouvoirs de cette « diabolique ».

Elle n’y voit rien, mais c’est la mode

En ce début d’automne, Maria-Angela, la belle Vénitienne, presse le fruit noir entre ses longs doigts. Une goutte de jus dans le coin de chaque œil, et l’affaire est réglée.
Elle sourit. À elle, les beaux messieurs !
Avant de sortir, elle s’arrête devant son miroir, mais son visage est terne, flou…
Elle se retourne.
Oh ! Le rouge du tapis est d’une fadeur navrante.
Elle avance à petits pas, trébuche dans une chaise. Certes, elle voit mal avec ses pupilles dilatées. Mais que faire ? C’est la grande mode. Et l’important, n’est-ce pas ce regard noir, fixe, hypnotique qui, sans aucun doute, fera succomber Giovanni ?

Les soldats de Napoléon ne résistent pas plus à la séductrice…

Après leur cuisante défaite, quelques rescapés de l’armée en déroute s’effondrent dans une clairière. Épuisés, ils luttent contre la faim. Et là, en bordure, à quelques pas d’eux, des « cerises » noires les tentent, les troublent, les narguent… Elles luisent, promettent une douceur, excitent leur ventre vide…
Ils se jettent dessus, engloutissent les fruits.
Ils ont survécu à la guerre, mais sont tombés dans le piège de la belladone, la Bella Donna, la belle femme qui tue ceux qui la croquent.
Tous morts.
Avec en plus, la signature de la meurtrière : des pupilles dilatées.

Un nom pour séduire, un autre pour agir

Si la belladone séduit, son nom de baptême – Atropa belladonna – dévoile son lien avec Atropos la cruelle, la fille de la nuit qui préside à la mort, et coupe le fil de la vie, tissé par sa sœur Clotho…
Ah, si les soldats avaient su cela…

Mais Napoléon le sait

Et comme pour lui : « Vivre vaincu et sans gloire, c’est mourir tous les jours. », il saisit le poison préparé par son fidèle Yvan : un mélange d’opium, d’hellébore et de belladone. Il le boit d’une traite, et la douloureuse agonie commence.

C’est la nuit du 12 avril 1814, peu de temps avant son départ sur l’île d’Elbe… Mais, comme il le dira lui-même : « la mort ne veut pas plus de moi dans mon lit que sur le champ de bataille ». Et oui, ses gens l’ont sauvé.

L’envol vers l’érotisme

Ah ! Ces herboristes du moyen âge, dites sorcières, qui préparent un mystérieux onguent dont on s’enduit le corps, et… hop, c’est l’envol et le délire.

En 1902, des érudits allemands, étudiant l’histoire de la sorcellerie, retrouvent la formule de « l’onguent des sorcières » dans un document du XVIIe siècle. (1) Un mélange de plantes, dont la belladone .
Alors, curieux ou déjà excités, ils le préparent et se pommadent entièrement avec.
Ils sombrent dans un sommeil.
Waouh !
Ils se sentent entraînés dans les airs, volent… Des désirs démoniaques surviennent, ils ne luttent pas…
Quel sabbat !

Et dire qu’à l’époque de la chasse aux sorcières, les pauvres êtres qui racontaient à leurs amis leur envol terminaient sur un bûcher… Ils ne pouvaient être que possédés par le diable pour « vivre » de tels instants.

Mais elle a encore d’autres pouvoirs

Selon la dose, la belladone est soit une plante médicinale soit une herbe toxique. Toujours très efficace, dans les deux domaines.

Et puis, nos militaires peuvent partir en campagne, munis de seringues auto-injectables d’atropine. La belladone est un antidote à certains gaz de combat.
Atropine ?
Et oui, c’est ce qui « coule dans les veines » de la belladone, cette substance dont se servent nos ophtalmologues pour pratiquer un fond d’œil, et faire de nous autres, femmes, les belles Vénitiennes d’autrefois.

 

Image par Hans Braxmeier de Pixabay

(1) la magie des plantes, Jacques Brosse, Albin Michel

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