Un monument disparu du Paris médiéval

Après deux étapes, le parcours d’un cadavre se termine dans un haut lieu d’exposition de la justice royale : le gibet de Montfaucon.

Le jeu du cochon pendu

Entre les 13e et 16e siècles, pour avoir tué ou blessé, les animaux sont jugés et condamnés. Particulièrement le porc, l’éboueur des villes qui déambule sans connaître les règles de la société, et provoque ainsi des accidents. Traîné devant un tribunal, reconnu coupable, il est pendu sans que son propriétaire soit inquiété.

Et si le jeu du cochon pendu était un clin d’œil à cette époque ?

Des insectes et des rongeurs excommuniés

En 1120, l’évêque de Laon excommunie les mulots et les chenilles, et l’année suivante, les mouches qui envahissent, ravagent les récoltes.
Et oui, il est difficile de pendre les mouches. C’est pourquoi les religieux les avertissent, leur somment de partir. Mais elles n’écoutent rien, alors ils lancent une malédiction ou l’anathème contre elles.
Comme quoi, à cette époque, il valait mieux être une mouche qu’un cochon.

Et les hommes et femmes de Paris ?

La première étape du condamné à mort, c’est l’exécution qui a lieu, surtout pour les VIP, aux Halles, parmi la foule. Elle doit être vue par le plus grand nombre, alors pendant un jour de marché, c’est l’idéal. Selon le crime, on décapite, ébouillante, pend, écartèle, brûle… Tout est codifié. Puis le corps ou ce qui en reste est emporté…
Où ?

Procession des restes humains

Le jour du jugement dernier, on doit se présenter avec un corps entier. Impossible donc pour les décapités et les lambeaux d’humains, alors voués à la damnation éternelle, d’être enterrés dans un cimetière béni.

La symbolique est très forte : la deuxième étape consiste en une procession des « reliques » néfastes du criminel vers un lieu de puanteur, malsain, hors de la ville, contrairement à celle des reliques miraculeuses d’un Saint vers un sanctuaire de pureté, au cœur de la cité.

Au gibet de Montfaucon : l’exposition de la justice royale

Visible de très loin, le gibet de Montfaucon (1), se dressant sur une butte, aux abords de Paris, indique où commence, où finit la justice de la ville.

Le mort sera exposé, pendu aux fourches patibulaires ; les décapités par les aisselles, les restes de corps dans un sac…

Sous les ordres d’Enguerrand de Marigny, chambellan de Philipe le Bel, le gibet en bois est devenu une construction en pierres de deux étages de cadavres en décomposition. Trois ans plus tard, on y accroche tout en haut, à l’étage réservé aux nobles, Enguerrand lui-même, pour malversation financière.

Les « communs » que l’on exécute parfois sur place, sans passer par les deux précédentes étapes, occupent le rez-de-chaussée. Qui s’intéresse à eux ?

Notez : on ne pendait pas les femmes, question pudeur. On les enterrait vivantes.

Et au pied des pendus, une herbe pour « planer »

La mandragore, la plante la plus « magique » décrite depuis l’Antiquité, pousse dans les lieux incultes et les bords de chemins du bassin méditerranéen. Elle appartient à la même famille de toxiques que la belladone dont on a déjà parlé (les morts dénoncent leur assassin). Ces deux plantes entraient dans la composition de l’onguent des sorcières » qui « faisait voler ». En fait, la mandragore contient des substances narcotiques.

Elle a eu la réputation d’être fécondée par le sperme des pendus qui éjaculent au bout de leur corde. D’où son surnom d’herbe aux pendus. Mais elle doit surtout sa célébrité, ses croyances, ses nombreuses légendes à la forme humaine de sa racine aux « deux jambes », longtemps utilisée comme aphrodisiaque.

 


Crédit : Freepik

Pour aller plus loin

Source du gibet de Montfaucon : la conférence de Pierre Prétou qui travaille sur les archives judiciaires et l’histoire de la justice. Il précise la rareté de notes existantes sur le monument lui-même.

(1) Nommé « gibet de Paris » jusqu’au XVe siècle, il devient ensuite le « gibet de Montfaucon », avant d’être démoli en 1760.

À partir du 19e siècle, le dessin de l’architecte Viollet-le-Duc, ci-dessous, servira de modèle aux peintres et aux écrivains (même dans le tome 2 de la légende de Jean l’Effrayé)
Comme son aspect a dû changer entre le 13e et le 18e siècle, la « guerre » entre historiens continue. Y avait-il deux ou trois étages de pendus ? La peinture de Jean Fouquet (XVe) dans les Grandes Chroniques de France en représente deux.

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4 commentaires

  1. Bravo pour tes descriptions de pendaisons et de la mandragore , cela me rappelle le superbe roman « La parfaite »de Franck Senninger dans lequel on assiste à une terrible scène de pendaison et il y est question de cette plante magique qu’est la mandragore.

    • Les exécutions au moyen âge, c’était quelque chose !mais parait-il que sur 25 condamnations à mort par an, trois seulement sont exécutés dans l’année : évasion, promesse de mariage avec le condamné, etc…

  2. Rappelons pour mémoire le magnifique et intemporel poème de François Villon, repris par des chanteurs dont Ferré et Reggiani. Le début de cette « Ballade des pendus » est :
    « Frères humains, qui après nous vivez,
    N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
    Car, si pitié de nous pauvres avez,
    Dieu en aura plus tôt de vous mercis. »

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