Le bestiaire : une façon de s’exprimer au Moyen Âge

Une pensée symbolique du monde domine les esprits médiévaux… le réel et l’imaginaire se mêlent… On croit autant à la licorne qu’à l’éléphant… Aucune époque n’a autant mis en scène l’animal.

L’animal dans la pensée médiévale

Crédit : British Library

Au Moyen Âge, les bêtes côtoient quotidiennement le paysan, le chasseur et le prince qui possède d’ailleurs sa propre ménagerie (1).

Pour les hommes de cette époque, elles ont une place précise dans leur vie de tous les jours, et sont entièrement responsables de leurs actes. Ainsi, elles passent en jugement si elles provoquent un accident ou une mort et peuvent être condamnées à mort.

Crédit : British Library

Comme Dieu les a créées et Adam leur a donné un nom, elles sont, à l’égal des humains, des créatures de Dieu. Par contre, elles seules sont dotées d’un sens symbolique. De plus, selon la volonté divine, elles doivent servir l’homme.

Telle est la pensée médiévale qui a bien sûr évolué tout au long du Moyen Âge (10 siècles).

Des animaux partout et de toute sorte

Réels ou imaginaires, les animaux agrémentent les marges ou le corps des manuscrits : livres d’heures (2), fables et romans satiriques, traités de santé, d’agronomie, de chasse. Calendriers, encyclopédies et bien sûr bestiaires.

Mais qu’est-ce qu’un bestiaire ?

Ce sont des recueils de notices et d’illustrations consacrées aux bêtes réelles et imaginaires. Dans ces manuscrits, elles acquièrent des personnalités et des sentiments comparables à ceux des hommes.

Mais, leurs représentations diffèrent d’un ouvrage à l’autre, et les textes évoluent avec le temps, les connaissances et le public visé. Ainsi, le traité pédagogique sur les oiseaux, rédigé au XIIe siècle, pendant la période intellectuelle n’a pas le même but que « le bestiaire divin » fortement symbolique et moralisé, écrit au XIIIe pour un laïc.

Le bestiaire, un livre d’éducation

Dans la pensée médiévale, les bêtes aident à mieux comprendre le monde. Comme chacune d’elles possède un sens symbolique, chaque illustration porte donc un message. Ainsi, en utilisant les animaux de la Bible, les artistes représentent souvent l’affrontement entre le Bien et le Mal. Car, au Moyen Âge, les animaux ont soit une signification positive (éléphant, pélican, cerf, phénix…), soit négative (serpent, renard, bouc, singe…), soit l’un ou l’autre selon le contexte (lion, licorne…).

Crédit : British Library

Par exemple : le renard, héros de fables et de roman, représente la fourberie, comme l’illustre cette légende : Pour manger des oiseaux, le renard se met sur le dos et fait le mort. Ainsi, les volatiles le croyant « sans vie » ne se méfient plus et s’approchent pour le déchiqueter… Et hop, goupil en chope un !…

Crédit : British Library

Une source précieuse

Les prédicateurs puisent alors dans ces anecdotes, images et histoires animalières pour édifier leurs fidèles. Quoi de plus parlant pour des illettrés que des récits d’animaux, réels ou imaginaires ?

L’éléphant, animal modèle des prédicateurs

Crédit : British Library

À cette époque, la puissance et le gigantisme de l’éléphant forcent le respect. Il devient même une figure vertueuse du bestiaire symbolique. Car il ne connaît ni la concupiscence ni l’adultère.  Lorsqu’il faut procréer, l’éléphant part avec sa femelle goûter la mandragore, plante du désir. Et l’éléphante entre dans l’eau pour mettre bas.  Alors, le mâle ne cède pas au péché de vaine gloire, mais protège sa femelle et plus tard, ses petits contre le redoutable dragon, leur grand ennemi… N’est-ce point là un acte de charité désintéressé ? (3)

Crédit : British Library

Comment capturer une licorne ?

Les animaux vivent autant dans la nature que dans l’imaginaire. Personne ne distingue les mythiques des exotiques. Griffon, licorne, dragon, monstres… sont aussi réels que les crocodiles et les singes.

Il semblerait même que les médiévaux croient en la licorne parce qu’un voyageur, en revenant de Jérusalem et passant par le Sinaï, l’a vue et décrite.

Pierre de Beauvais propose même une méthode pour la capturer : « Amenez une vierge en pleine forêt, laissez-la, seule, assise sur une pierre. Attendez. La licorne viendra se blottir contre son sein et le chasseur la tuera (4). À lui, la corne aux vertus médicinales, voire aphrodisiaques ! Mais, attention, la licorne sait être violente …

Crédit : British Library

Un peu plus de réalisme à partir du XIIIe, quoique…

À partir du XIIIe siècle, la circulation des œuvres d’Aristote permet une approche plus réaliste du monde animal. De plus, les encyclopédies, dont le nombre augmente à cette époque, présentent les espèces par ordre alphabétique et de façon plus « scientifique ». Mais les bestiaires gardent encore leurs données plus ou moins fantaisistes.

NOTES

(1) voir l’article sur le lion

(2) article sur » le livre de poche au Moyen Âge
(3) Des bêtes aux mœurs édifiantes, Marianne Besseyre
(4) Bestiaire de Pierre de Beauvais. Dans son Bestiaire, Pierre de Beauvais donne une signification christologique à la licorne : « Notre Seigneur Jésus-Christ, licorne céleste,… et la jeune fille serait la vierge Marie.

SOURCES

— Marianne Besseyre, conservatrice au centre de recherches sur les Manuscrits Enluminurés du département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.
— C. Heck, le bestiaire médiéval, 2018. Ancien conservateur en chef du musée d’Unterlinden à Colmar, membre senior de l’Institut Universitaire de France (Chaire d’iconographie médiévale), et professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lille 3. Il dirige le RILMA (Répertoire Iconographique de la Littérature du Moyen Age), et le GRIM (Groupe de Recherches en Iconographie Médiévale).
— Voisenet, Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du Ve au XIIe siècle. Ed Brepols, 2000
— J. Corbechon

POUR ALLER PLUS LOIN,

a) le bestiaire médiéval est l’héritier de deux principaux ouvrages :
— Histoires naturelles de Pline l’Ancien, Ier siècle, livres dans lesquels savoir et légendes se mêlent.
— Physiologus, un texte du IIIe siècle, qui propose déjà une leçon moralisée du monde animal.

b) Etymologies d’Isidore de Séville, VIIe, rend plus  » scientifique » les deux ouvrages précédents

c) Puis parmi les bestiaires les plus connus :
— Traité des oiseaux, Hugues de Fouilloy, XIIe
— Le Bestiaire latin, nord de la France, XIIe
— Le bestiaire divin, Angleterre, XIIIe
— De proprietatibus rerum, Barthélémy l’Anglais, XIIIe, qui décrit des stéréotypes.
encyclopédie de plusieurs livres
— Bestiaire de Pierre de Beauvais ou Pierre le Picard, XIIIe
— De Animalibus, d’Albert le grand, XIVe : Observations “scientifiques” mêlées à des illustrations allégoriques.
— Libro del animali et de uccielli et dei ioro nature per belli exempli, Florence, vers 1400
— Livre de chasse, Gaston Phébus , XVe

Crédit BNF / Gaston Phébus, Livre de la chasse.

 

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3 commentaires

  1. Exposé avec justesse et nuances, comme d’habitude, ce qui n’est pas simple lorsqu’on vulgarise.
    A titre de complément, le pignon sud de la façade de N.-Dame de Reims, celui de la Résurrection, cache une licorne. Elle est visible, avec deux autres animaux cachés, sur la dernière note de mon blog mentionné ci-dessous.

    • merci pour cet ajout intéressant. la licorne a en effet une signification christique. Elle est donc bien a sa place dans les édifices religieux. L’autre animal de « votre » pignon pourrait être le phénix, oiseau fabuleux qui renait de ses cendres, et donc un des symboles de la résurrection. mais je n’ai vu les sculptures de cette cathédrale. C’est juste une hypothèse. Merci encore de nous en parler.

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