Un livre de poche pour laïcs au Moyen Âge

Du XIIIe au XVe, donc bien avant l’imprimerie de Gutenberg, un livre se glisse dans la « poche » des laïcs. Selon la richesse du commanditaire, il est plus ou moins personnalisé, plus ou moins enluminé, plus ou moins grand… Et quel succès, remporte ce livre d’heures !

Un livre pour les laïcs

À la cour, et déjà sous Saint Louis, bibles et psautiers sont richement ornés. Puis le livre d’heures apparaît, et tous les aristocrates en veulent un.

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Mais à partir du  XIVe , il va petit à petit se démocratiser, entrer dans les foyers bourgeois et se répandre entre 1350 et 1480.

Les heures sont celles célébrées par les moines (1), celles qui, au son de la cloche de l’église, rythment la vie au Moyen Âge. Alors, comme eux, les laïcs peuvent réciter maintenant leurs prières en latin, plusieurs fois par jour. Mais pas seulement. Le contenu de l’ouvrage commandité est aussi personnalisé. En plus des fêtes religieuses, il indique celles des saints que le commanditaire vénère, les naissances et décès de ses proches, un psaume particulier, un poème de chevalerie, une chanson profane, une chronique…

Un livre par famille

Les textes, dimensions, formes et illustrations  d’un manuscrit varient d’un foyer à l’autre et surtout selon les moyens de l’acheteur. Chez les « Bien nés », le manuscrit peut être de grand format, richement enluminé (2). Le seigneur s’agenouille alors pour prier, devant l’ouvrage posé sur un lutrin ou se contente de l’admirer. Mais dans la plupart des cas, il est facilement transportable, donc de petit format. (3)

Chaque livre d’heures est donc unique. Et vu le coût, un foyer n’en possède qu’un seul (quand il peut se l’offrir), sauf quelques exceptions, comme le duc de Berry qui les collectionne.

Si certains membres de la famille ne se concentrent que sur les dessins du livre, d’autres s’en servent comme support d’apprentissage à la lecture.

Et il s’ouvre sur un calendrier

L’Homme anatomique ou L’Homme zodiacal (Très riches heures du Duc de Berry) ©Photo. R.M.N. / R.-G. OjŽda

Tous les livres d’heures possèdent au moins un calendrier des fêtes au début de l’ouvrage.

Comme les cycles des saisons et des douze signes du zodiaque rythment l’année médiévale, chaque mois s’illustre par une représentation d’un travail spécifique dans le milieu rural, ou d’un divertissement dans le monde aristocratique. Viennent ensuite les prières et les enluminures religieuses, les textes personnels, des psaumes choisis…

Un grand pas dans l’art : la perspective

L’enluminure « éclaire » le texte, comme le dévoile son origine latine  » illuminare », éclairer, ou peut être  » lumen, luminis  » lumière. Quoi qu’il en soit, au bas Moyen Âge, la peinture orne les livres, les vitraux et les murs, mais sur les feuillets de parchemins, les paysages et surtout la perspective apparaissent. Un réalisme aux coloris à dominante souvent bleu et mauve pâle.

Les Très Riches Heures du Duc de Berry

Contrairement aux scribes et clercs « escrivains » qui s’en  souciaient peu, ces artistes nous montrent des paysans en pleine activité ( ci-dessus en juillet). Et seulement en second plan, différents édifices et châteaux  [4]

Humour et décoration

Certaines  peintures remplissent donc un rôle narratif. Mais d’autres ont un rôle purement décoratif. Et les enlumineurs ne manquent pas d’humour  : ici un monstre grotesque, là, quelques dessins bien croustillants et là , un renard en frère prêcheur parle à une  poule ( image en tête d’article).

Le rôle décoratif est surtout visible dans les bordures et dans l’ornementation de la première lettre d’un chapitre ( que nous appelons aujourd’hui : lettrine). Elle s’inspire de motifs végétaux et animaux stylisés. Ou bien de scènes, comme celle de  l’arracheur de dents, pour la lettre D  dans une encyclopédie médiévale :

Lettrine historiée (D) de l’encyclopédie médiévale Omne Bonum (en) représentant l’arrachage d’une dent (vers 1360-1375).

Pourquoi un livre d’heures ?

Pour sanctifier la journée, prier pour ses défunts, ses malades, pour se souvenir des fêtes… mais surtout pour se faire pardonner de ses péchés. N’oublions pas que dans leurs grandes peurs, les médiévaux ont celles du jugement de l’âme et du jugement dernier, deux représentations souvent sculptées sur les tympans des églises.

Et arrivent les livres profanes …

La cité des dames, récit d’une société allégorique où la dame est une femme dont la noblesse est celle de l’esprit plutôt que de la naissance, Christine de Pizan (début XVe]

La cité des dames de Christine de Pisan

et le livre des merveilles de Marco Polo [5]

Livre des merveilles de Marco Polo

NOTES

(1) les heures canoniales:

Matines, entre 2 h 30 et 3 h ;
Laudes, vers 5 h ;
Prime, première heure = lever du jour ;
Tierce, 3e heure, vers 9 h ;
Sexte, 6e heure, vers midi ;
None, 9e heure, vers 15 heures ;
Vêpres, vers 18 h ;
Complies, dans la nuit, dernière prière avant de dormir

(2) le célèbre Très Riches Heures du duc de Berry comporte des peintures en pleine page [21 cm sur 29 cm] et autant de petites illustrant le texte. Bien plus d’une centaine de reproductions.
(3) Les petits mesurent moins de 20 cm, les gros, comme celui du duc de Berry, voisinent le format d’une feuille A4.
(4) Ce sont souvent des copies de ces enluminures qui agrémentent les textes d’aujourd’hui, parlant du Moyen Âge.
(5) Ce récit va inciter Jean l’Effrayé et son meilleur ami à vouloir suivre ses traces [Protestatio, éditions Anfortas]

POUR ALLER PLUS LOIN

1)Exemples de livres d’heures célèbres du bas Moyen Âge
— Très Riches Heures du duc de Berry, livre réalisé entre 1411 et 1416 (musée Condé, Chantilly [Oise].). Il est également numérisé.
— Livre d’heures de Jeanne d’Évreux (1325-1328), chef-d’œuvre de Jean pucelle
Au XIVe, c’est le siècle de l’enlumineur Jean Pucelle (mort en 1334) et de son disciple Jean Le Noir (actif de 1331 à 1360), et de la fille de Jean Le Noir.

2). Le Gothique international : l’Art en France au temps de Charles VI , Inès Villela-Petit, archiviste et spécialiste de la peinture et de l’enluminure au Moyen Âge

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3 commentaires

  1. On imagine que ces livres, même en petit format devait valoir très cher compte tenu du travail d’enluminure. Finalement il en reste très peu semble t’il!
    Existe t’il des livres enluminés par Nicolas Flamel?
    Merci Sylvie pour toutes ces merveilles que vous nous montrez.

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